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René TATON, La Société Philomathique de Paris et les sciences exactes

La Société Philomathique de Paris et les Sciences exactes

Premier tiers du XIXème siècle

par René TATON, philomathe


Par réaction peut-être contre le rôle important qui leur était accordé dans les travaux de l'Académie royale des Sciences, les sciences physico-mathématiques ne tenaient qu'une place réduite dans les préoccupations des six jeunes savants amateurs, de niveau au demeurant assez modeste, qui, à la fin de 1788, fondèrent la Société Philomathique de Paris. Et seuls deux chimistes, Louis-Nicolas Vauquelin et Armand Seguin, et le célèbre inventeur Claude Chappe méritent d'être cités parmi les 26 nouveaux membres que cette Société recruta jusqu'en juillet 1793. La suppression de l'Académie royale des Sciences ordonnée par la Convention le 8 août 1793 allait modifier brusquement cette situation en amenant la Société Philomathique de Paris à admettre en quelques mois une vingtaine de membres nouveaux, dont quelques-uns des représentants les plus marquants de la science française de l'époque : dix anciens académiciens et sept futurs membres de l'Institut national. Si cinq physico-mathématiciens de grand talent J.-B. Le Roy, Monge, Prony, Laplace et S.-F. Lacroix et quatre chimistes aussi éminents que Berthollet, Fourcroy, Lavoisier et Darcet firent partie de cette promotion exceptionnelle, leur participation effective aux activités de la Société fut trop réduite pour en modifier l'orientation. Par ailleurs, le fait qu'un quart seulement des membres de l'ancienne Académie aient été alors intégrés dans le cadre de la Société Philomathique ne permet pas de la considérer comme le relais de celle-ci pendant les deux années qui s'écoulèrent avant sa reconstitution dans le cadre de l'Institut national en octobre 1795. Comme société libre, la Société Philomathique put fonctionner pendant toute cette période et recruter de nouveaux membres, tels que le minéralogiste Haüy, mais les contingences politiques réduirent son activité au strict minimum. Si la Société elle-même ne semble pas avoir subi d'épuration autoritaire comme d'autres organismes de l'époque, certains de ses membres furent éloignés de Paris, arrêtés, voire exécutés, comme le plus illustre d'entre eux, Lavoisier, entré à la Société le 14 septembre 1793, arrêté le 28 novembre 1793 et guillotiné le 8 mai 1794, en même temps que la plupart des autres fermiers généraux. A ce sujet, on ne peut que regretter que la Société Philomathique de Paris n'ait engagé aucune démarche pour tenter de sauver la vie de cet illustre membre, ainsi que le firent deux autres organismes auxquels appartenait le créateur de la chimie moderne, le Bureau consultatif des Arts et Métiers et la Commission temporaire des poids et mesures. Mais peut-être son statut de société libre ne lui permettait-il pas d'intervenir directement auprès de comités officiels ?

Parmi la douzaine d'élections qui eurent lieu entre le 9 thermidor an III (27 juillet 1794) et les premières nominations de membres de la première classe de l'Institut national qui prenait la suite de l'ancienne Académie royale des Sciences (20 novembre 1795), seules sont à noter celle de Hauy et la réélection de S.-F. Lacroix. Ce dernier fut bientôt l'un des principaux artisans de la rénovation de la Société et de son adaptation aux nouvelles conditions de la vie et de l'activité scientifiques résultant de la création et du succès de l'Ecole polytechnique et des autres institutions d'enseignement et de recherche fondées par la Révolution. L'entrée progressive de nombreux membres liés professionnellement à ces nouveaux établissements, le développement du Bulletin de la Société et sa diffusion plus large, les contacts établis avec l'Institut et avec d'autres sociétés entraînèrent vers le début du siècle son essor rapide et le renforcement de son prestige dans tous les milieux scientifiques. En quelques années, l'entrée (1798) du chimiste Chaptal, l'un des premiers disciples de Lavoisier, le retour de Laplace illustrent les excellents rapports de la Société avec l'Institut, tandis que les élections de Biot, Costaz, Thénard, Lancret, Poisson, Conté, Gay-Lussac, Hachette, Delaroche, Ampère, Girard, Malus, Arago, Chevreul, Puissant, Dulong et Cauchy font de la Société Philomathique de Paris l'un des centres de la vie scientifique si active de Paris à l'époque du Consulat et de l'Empire. Comme le note J. Mandelbaum dont la thèse récente (1980) a enrichi et partiellement renouvelé notre connaissance de l'histoire de la Société Philomathique de Paris, on sent dans le désir des philomathes d'oeuvrer en liaison avec le travail collectif mené par l'institut et d'autres organismes leur souci de préserver « le caractère particulier de la Société, simultanément au centre de la vie scientifique parisienne, et gardant son particularisme de cercle intime fonctionnant en marge de l'académisme officiel».

Avant de rappeler les noms (les principaux physico-mathématiciens élus à la Société au cours de la période suivante et d'examiner plus en détail l'activité de certains de ces philomathes en liaison avec leur appartenance à cette société, il importe de donner quelques éléments d'information sur les modalités de recrutement des nouveaux membres et sur leur évolution au cours de la période concernée. Fin 1797, le nombre des membres de la Société Philomathique avait été fixé à 50, compte non tenu ni des membres correspondants – plus nombreux en fait, surtout dans les divers domaines des sciences naturelles - ni de la nouvelle catégorie des membres émérites créée en 1799. Chaque membre devait payer une cotisation et, en théorie du moins, intervenir de façon assez régulière an cours des séances, contraintes dont étaient libérés les membres ayant obtenu l'éméritat soit à cause de leur âge, soit après vingt années passées dans la Société. Entre 1798 et 1832, 114 places de membres ordinaires furent ainsi libérées et soumises à renouvellement, plus de la moitié l'étant par passage de leurs titulaires au rang d'émérites, voire de correspondants, un quart par décès et les autres par démission ou radiation. Les procédures de dépôt et d'examen des candidatures et de recrutement par cooptation étaient conçues sur le modèle académique et l'abondance des candidatures pendant la période étudiée retarda ou compromit l'élection de certains candidats de valeur. Il est vrai tout d'abord que les talents intellectuels et scientifiques du candidat n'étaient pas les seuls critères de choix et que les qualités de sociabilité étaient également prises en compte dans les rapports des commissaires. C'est ainsi qu'en présentant pour correspondants les deux éminents savants britanniques Humphry Davy et Thomas Young, Jean-Baptiste Biot écrit le 5 frimaire an II (26 novembre 1802) :

Tous les témoignages se réunissent pour attester la prévenance de leurs manières et la douceur de leur commerce. Ces qualités que peut-être ailleurs on regarderait comme inutiles, ont toujours été considérées par la Société Philomathique comme des conditions nécessaires. Le talent le plus sublime, lorsqu'il n'est pas joint à l'aménité du caractère, doit se contenter de la gloire et de la célébrité [...]. Il ne faut pas qu'il se place parmi les hommes [qui estiment? ] les liens de l'amitié la plus sincère (J. M., p. 113).

Il est vrai également que les sympathies personnelles des votants ne pouvaient manquer d'intervenir et que, dans une telle société, le système de recrutement par cooptation risquait de pérenniser la sur-représentation de certaines disciplines - en particulier les sciences naturelles, la médecine, la chirurgie, la pharmacie et l'agronomie – au détriment des sciences physico-mathématiques, et tout particulièrement des mathématiques pures et de l'astronomie. Effectivement, comme le montre J. Mandelbaum, « cette majorité - celle des sciences de la nature - présente chez le noyau des fondateurs est restée fermement implantée tout au long de notre période» (J. M., p. 126) (41 % du total des membres et des correspondants, contre 14 % pour l'ensemble des sciences exactes, à côté de plus de 17 % pour les seuls médecins et chirurgiens). Cependant, Mandelbaum note que « si les sciences exactes sont restées numériquement faibles, elles ont été représentées par des hommes qui, tels Biot, Lacroix, Poisson et Ampère, ont joué un rôle particulièrement actif comme officiers et commissaires rédacteurs » du Bulletin de la Société et elles ont su s'associer des correspondants étrangers prestigieux. Le phénomène de professionnalisation croissante de la science, de plus en plus net au cours de la période qui nous intéresse, était accompagné d'un phénomène parallèle et complémentaire de spécialisation, à la fois dans les carrières individuelles et dans les sociétés savantes, que, malgré son souci permanent de discussion pluridisciplinaire, la Société Philomathique de Paris ne pouvait ignorer. Aussi en 1821 constitua-t-elle en son sein sept sections, les unes de six membres, les autres de huit, dont les trois premières « Mathématiques, astronomie et géographie; Physique générale et mécanique appliquée; Chimie et arts chimiques ». Cette division fut en même temps étendue à la rédaction du Bulletin de la Société où une spécialisation progressive s'était d'ailleurs déjà instituée : Fourier, Biot et Chevreul furent en 1821 les responsables des trois rubriques correspondantes, auxquels l'année suivante succédèrent Francœur, Fresnel et Pelletier. La simple liste de ces rédacteurs atteste du prestige justifié dont jouissait alors dans le monde scientifique la Société et son Bulletin. Mais, et nous y reviendrons, l'apparition de nouveaux périodiques scientifiques pluridisciplinaires aux objectifs analogues allait rapidement modifier cette situation et amener à la fois la disparition de ce Bulletin prestigieux, du moins sous sa forme d'organe de diffusion rapide d'informations scientifiques présentées sous une forme brève, voire laconique, mais précises et souvent originales; et, corrélativement le déclin de la Société dont ce Bulletin était devenu la principale raison d'être, du moins pour ceux de ses membres les plus confirmés, déjà pourvus d'autres titres et de situations stables.

Pour les jeunes scientifiques, il n'en était pas de même et une candidature à la Société Philomathique pouvait conserver certains des attraits qui en avaient fait pendant un tiers de siècle l'un des moteurs de la vie scientifique française. En dehors de la possibilité, déjà évoquée, de faire connaître rapidement, par la voie du Bulletin, ses principales découvertes et de marquer ainsi sa priorité, d'autres motivations justifiaient toujours le désir d'entrer à la Société. Certaines d'entre elles étaient, depuis la rénovation de la Société, le désir de faire carrière dans les nouvelles structures universitaires, scientifiques et techniques et, à cette fin d'enrichir son curriculum vitae d'un titre déjà reconnu, de participer à des discussions souvent enrichissantes et de faire la connaissance de membres plus anciens susceptibles d'apporter leur appui dans la recherche ou l'amélioration de la situation du candidat. En liaison avec cette motivation, on trouve aussi fréquemment l'idée, partiellement exacte pour notre période, que la Société Philomathique de Paris était considérée par beaucoup comme l'antichambre du temple de la science française, l'Académie des Sciences. Avant de citer deux témoignages précis sur les motivations de certains candidats à la Société Phiomathique, celui du naturaliste Augustin-Pyramus de Candolle et celui du physicien Augustin Fresnel, il importe effectivement de noter, à la suite de J. Mandelbaum, que sur 189 philomathes entrés comme membres entre 1788 et 1835, 103, soit 54,5 %, ont été aussi académiciens. Mais venons-en au premier témoignage, celui de Candolle qui, dans ses Mémoires et souvenirs (Genève, 1862, p. 96-97), rappelle le souvenir de son entrée à la Société en juillet 1798 :

Le premier résultat de ma présentation à l'Institut fut de me faire recevoir membre de la Société Philomathique, en remplacement de Ventenat, qui l'avait quittée. Je fus aussi appelé de suite à le remplacer comme membre de la commission du Bulletin. Cette société était alors la pépinière de l'Académie des Sciences, et la commission était composée de ses membres les plus distingués. Je me trouvai, dans cette petite réunion, intime collègue de MM. Alex. Brongniart, Duméril, Cuvier, Biot, Lacroix et Sylvestre. Nous nous réunissions chez l'un de nous le samedi soir, après la séance de la Société. Notre réunion était composée d'amis intimes et de savants zélés. Non seulement j'ai appris beaucoup avec eux, mais j'eus le bonheur de gagner assez promptement leur amitié (J. M., p. 74).

Revenant plus loin sur ces réunions philomathiques, Candolle mêle des considérations plus matérielles au souvenir des bénéfices intellectuels qu'il en tira [...] j'étais le plus jeune d'environ dix ans. J'étais aussi moins avancé que mes collègues dans la carrière des places, qui étaient leur but commun, et qui devint bientôt le mien quand, une fois marié, je commençai à sentir l'utilité de l'argent, dont je ne m'étais jamais douté jusque-là. Leur exemple et leur conversation m'en inspirèrent le désir; en même temps, leurs conseils et leur protection me furent utiles à ce point de vue. J'ai appris dans cette société à connaître les hommes et les mobiles cachés de bien des choses. J'y ai aussi beaucoup appris d'histoire naturelle, et je crois que sans cette réunion il m'eût été impossible de faire plus tard des cours de zoologie, science que j'ai à peine apprise autrement que par à conversation. J'ai vu éclore et entendre discuter entre amis éclairés tous les travaux de Cuvier, de Duméril, de Geoffroy [Saint-Hilaire], etc., et quand plus tard j'ai relu leurs ouvrages, ils me faisaient l'effet de perpétuelles réminiscences. Cette réunion de gaîté, de commérage et d'instruction nous était très précieuse, et nous ne la manquions presque jamais. Elle reste encore dans mon souvenir comme une des choses les plus agréables de ma vie (J. M., p. 75-76).

Quant à Augustin Presnel, au printemps 1818, fixé à Paris depuis peu et en pleine compétition pour faire admettre ses idées novatrices, avec l'appui de ses amis Arago et Ampère, il est ravi à la pensée d'être bientôt, pense-t-il, élu à la Société Phiomathique et il espère en tirer à la fois un profit matériel et intellectuel. C'est à son frère Leonor que, le 23 avril 1818, il confie tous ses espoirs :

Je serai bientôt membre de la Société Philomathique. MM. Magendie et Ampère m'ont offert de m'inscrire sur la liste des candidats à la première occasion, c'est-à-dire à la première place vacante. Je pourrai alors mettre un titre scientifique en tête de mes mémoires, ce qui ne laissera pas d'être fort agréable. J'y vois un grand avantage sous le rapport de l'instruction et de l'habitude que je pourrai y acquérir de parler et de discuter en public; car la Société Philomathique est l'arène où combattent les partisans des différentes doctrines scientifiques [...]
(J. M., p. 99). 

Cependant, bien qu'il ait été mis sur la liste des candidats dès le 25 avril 1818, il ne sera élu qu'à la troisième place vacante le 3 avril 1819. Il publiera alors plusieurs notes extrêmement importantes dans le Bulletin de la Société, dont il sera d'ailleurs l'un des rédacteurs pour les années 1822-1824.

Mais cette évocation de l'un des plus prestigieux philomathes du premier tiers du XIXe siècle nous amène à signaler très rapidement les principaux physico-mathématiciens français élus à la Société après la chute de l'Empire, et à compléter ainsi la liste de leurs prédécesseurs donnée précédemment. Insensible semble-t-il aux bouleversements politiques, peut-être du faste de son statut de société privée, la Société Philomathique de Paris Poursuivit, après 1815, sa politique de recrutement par comblement rapide des places devenues disponibles. C'est ainsi que pour la période 1816-1832, on note l'élection de 19 physico-mathématiciens ou chimistes de valeur, soit plus d'un par an en moyenne le chimiste Nicolas Clément en 1816, Fourier et le physicien Alexis Petit en 1818, Fresnel et Navier en 1819, Despretz en 1820. Pouillet en 1822, Antoine-César Becquerel en 1823, J-B. Dumas. Félix Savart et Félix Savary en 1825, Coriolis en 1830, J.-M.-C. Duhamel et Charles Storm en 1831, Payen, Liouville et Lamé en 1832.

L'énoncé de cette liste de nouveaux philomathes recrutes en une quinzaine d'années semble démontrer le maintien de la vitalité d'une société qui, vers 1820, tenait une place privilégiée dans l'animation de la vie scientifique française, alors que des savants tels que Biot, Ampère, Gay-Lussac, Arago, Poisson, Cauchy, Fresnel ou Fourier réservaient à son Bulletin la priorité dans la révélation de certains des résultats qu'ils avaient obtenus ou des théories nouvelles qu'ils proposaient. Dans la plupart des cas, il s'agissait là de la publication sous forme très condensée de travaux déjà présentés d'une façon plus détaillée à l'Académie des Sciences ou dans l'une des sociétés scientifiques spécialisées récemment constituées. C'est ainsi que l'important mémoire de Cauchy, « Recherches sur l'équilibre et le mouvement intérieur des corps solides ou fluides, élastiques ou no. élastiques », fondamental dans l'histoire de la théorie de l'élasticité et qui fut à l'origine dusse ardente polémique avec Navier, présenté à l'Académie des Sciences le 30 septembre 1822, ne fut longtemps connu qu'à travers un résumé de 5 pages publié dans le fascicule de janvier 1823 du Bulletin de la Société. Mais, dans certains cas, les notes ainsi publiées avaient également été présentées devant la Société où des discussions trés animées pouvaient intervenir, tout particulièrement en cette période où des théories physiques aussi importantes que la théorie ondulatoire de la lumière, l'électromagnétisme, l'atomisme, etc., étaient en cours d'élaboration, de développement et de contestation.

Le caractère à la fois pluridisciplinaire et ouvert de la Société donnait un caractère très particulier à de telles discussions que l'opinion de savants de spécialités très diverses pouvait enrichir tout en calmant peut-être certaines oppositions ayant pris un caractère trop personnel et partial. Des personnalités aussi riches et originales qu'Ampère, Arago, Fresnel et Fourier pouvaient sans nul doute intervenir utilement dans de tels débats de nature variée que les traditions académiques ne permettaient pas d'instaurer aussi librement au sein de l'Académie des Sciences. Mais c'est au moment même où la Société Philomathique de Paris connaissait une aussi brillante réussite tant dans son recrutement que dans certains débats instaurés au cours de ses séances et surtout dans la réputation acquise par son Bulletin, devenu l'un des organes essentiels de diffusion des travaux de la science française, que se dessinaient les premiers signes d'un rapide déclin. Organisme privé, la Société vivait en effet très petitement à la fois des cotisations de ses membres et des abonnements divers souscrits à son Bulletin. Mais comme la plupart des publications de ce genre, ce dernier avait des finances très fragiles, à tel point que plusieurs interruptions de publication et réformes de structure intervinrent au cours de cette période, sans réussir à triompher réellement de difficultés financières sans cesse renaissantes. La création de nombreuses revues nouvelles, spécialisées, pluridisciplinaires, voire encyclopédiques, empêchait en fait tout développement et risquait à chaque instant de détruire un équilibre extrêmement délicat. Mais le risque essentiel était de voir apparaître une publication qui enlèverait progressivement au Bulletin une partie de ses contributions les plus originales et de ses auteurs les plus prestigieux.

C'est ce qui intervint avec la fondation en 1823 du Bulletin général et universel des annonces et des nouvelles scientifiques, dirigé et financé par un naturaliste amateur, le baron de Férussac, ancien officier au corps royal d'état-major, fondation qui prélude au lancement en 1824 d'un recueil mensuel encyclopédique, le Bulletin universel des sciences et de l'industrie, composé de huit sections indépendantes, dont les deux premières, le Bulletin des sciences mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques et le Bulletin des sciences naturelles et de géologie concurrençaient directement le Bulletin de la Société en prenant comme responsables de ses différentes rubriques certains des phiomathes les plus actifs, voire les plus éminents, et surtout, en faisant progressivement place aux articles originaux et aux notes inédites qui étaient la principale source du prestige de l'organe de la Société. Ce dernier, bien qu'ayant pris le nom de Nouveau Bulletin, interrompit sa publication après la sortie des tomes de 1825 et 1826. Un nouvel espoir revint lorsque, à la fin de 1831, le baron de Férussac eut renoncé, pour des raisons financières, à la publication de son bulletin bibliographique encyclopédique qui, pendant six ans, avait remplacé celui de la Société Phiomathique. Aussi cette dernière publia-t-elle deux nouveaux tomes de son Nouveau Bulletin en 1832 et 1833. Mais la sortie d'une nouvelle publication encyclopédique, L'institut, fondée par le publiciste Eugène Arnoult, ruina ce nouvel espoir. Enfin, la création en août 1835 pat l'Académie des Sciences, à l'instigation de son secrétaire perpétuel Arago, des Comptes rendus hebdomadaires de cette compagnie enlevait au bulletin de la Société Philomathique sa qualité essentielle, celle de révéler rapidement les résultats nouveaux de la science française. La Société interrompit donc alors la publication de son bulletin, mais conclut en 1836 un accord avec l'hebdomadaire L'institut qui accepta de publier régulièrement les comptes rendus de ses séances et d'en faite régulièrement des tirés à part.

Mais, il ne s'agissait évidemment là que d'un pis-aller et les initiatives successives du baron de Férussac, d'Eugène Arnoult et de François Arago ont amené la disparition virtuelle d'une revue qui avait tenu une place originale et essentielle dans la vie scientifique française dans le premier tiers du six, siècle. Nous limitant ici au seul domaine des sciences mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques, il est équitable et important de rappeler que par la qualité de certains de ses membres, par l'intérêt d'une partie des débats qu'elle organisa, suscita ou abrita dans ses séances et surtout par la diffusion rapide de l'information scientifique qu'assura son Bulletin pendant une trentaine d'années, la Société Philomathique de Paris a joué un rôle original et essentiel dans le développement des sciences physico-chimiques en France dans le premier tiers du XIXe siècle.

En complément à cette brève étude, il parait utile de dresser pour la période considérée (fin du XVIIIe siècle - premier tiers du XIXe siècle) deux listes parallèles, et complémentaires, de mathématiciens, mécaniciens, astronomes, physiciens et chimistes éminents de cette époque la première rassemblant les noms de ceux qui, pour des raisons diverses, de caractère personnel, de circonstances ou de refus de l'une des deux parties, n'ont pas appartenu à la Société Philomathique de Paris; la seconde, regroupant par ordre chronologique de leur élection les noms, déjà cités pour la plupart, des scientifiques de ces spécialités qui ont été élus au sein de cette Société au cours de cette période. Enfin, quelques exemples caractéristiques seront évoqués plus en détail, afin d'esquisser les rapports de l'activité philomathique de certains membres avec l'ensemble de leur oeuvre et de leur carrière.

Tout d'abord, en prenant pour source principale de comparaison la liste des principaux académiciens des spécialités en question pour la période considérée, on peut noter qu'une bonne part d'entre eux n'ont pas été phiomathes. C'est le cas, en particulier :

- des mathématiciens suivants: Lazare Carnot (1753-1823), J. A. Cousin (1772-1800), Charles Dupin (1784-1873), Joseph-Louis Lagrange (1736-1813), Adrien-Marie Legendre (1752-1833), Louis Poinsot (1774-1859) et Alexandre Vandermonde (1735-1796);
- des mécaniciens Abraham-Louis Breguet (1747-1813), Charles Bossut (1753-1814), Charles-Augustin Coulomb (1774-1806), Pierre Molard (1759-1830), Etienne Montgoffier (1745-1799) et son frère Joseph (1740-1810) et Constantin Périer (1742-1828);
- des astronomes Charles de Borda (1738-1799), Alexis Bouvard (1767-1843), Jean-Baptiste Delambre (1749-1822), Jérôme de Lalande (1732-1807), P.-P.-A. Méchain (1744-1804), Charles Messier (1730-1817) et Alexandre Pingré (1711-1796);
- des physiciens Mathurin Brisson (1728-1806), Louis Lefèvre-Gineau (1751-1829) Alexis Rochon (1741-1817);
- enfin des chimistes Louis-Bernard Guyton de Morveau (1737-1816) et Louis Proust (1754-1826).

Après ce rappel des noms des principaux représentants des sciences exactes qui, au cours de la période considérée, n'ont pas figuré dans la liste des membres de la Société Philomathique de Paris, il est intéressant d'indiquer, par ordre d'entrée, les noms, déjà cités, de ceux qui y furent admis. Avant la suppression de l'Académie royale des Sciences, le 8 août 1793, la Société Philomathique de Paris ne compte parmi ses membres que trois représentants assez connus des sciences physico-mathématiques ou techniques deux chimistes Nicolas-Louis Vauquelin (1763-1829) et Armand Seguin (1767-1835), admis respectivement le 9 mars 1789 et le 24 mars 1790 et un inventeur qui sera bientôt célèbre, Claude Chappe (1763-1805), élu membre le 31 décembre 1791 sur proposition de Silvestre. A côté d'eux, on ne trouve aucun mathématicien, astronome ou physicien de quelque renom. Par contre, parmi les membres recrutés dans les derniers mois de 1793, on distingue un groupe de savants éminents, pour la plupart anciens membres de l'Académie des Sciences. C'est ainsi que le 14 septembre 1793 sont élus trois chimistes de grande valeur : Claude Berthollet (1748-1822), Antoine Fourcroy (1755-1809) et Antoine-Laurent Lavoisier (1743-1794), bientôt suivis, le 28 septembre, du mathématicien Gaspard Monge (1746-1818) et du mécanicien Gaspard Riche de Prony (1755-1839), le 3 novembre, du chimiste jean Darcet (1725-1801) et du mathématicien et théoricien Pierre-Simon Laplace (1749-1827), enfin, le 3 décembre 1793, du mathématicien Sylvestre-François Lacroix (1765-1843), déjà correspondant de la Société depuis le 29 décembre 1792. En dehors du minéralogiste René-Just Haüy (1743-1822) qui souhaitait depuis 1791 participer aux réunions de la Société et qui y fut enfin admis le 31 juillet 1794, quelques jours après la chute de Robespierre, au cours des années suivantes le recrutement fut stoppé ou du moins très ralenti, le chimiste Jean Chaptal (1756-1822) étant coopté le 21 juillet 1798 et le jeune mathématicien et physicien Jean-Baptiste Biot (1774-1862) le 2 février 1801. Par contre, à partir de 1803, les élections de jeunes savants aux débuts de carrière prometteurs se font plus nombreuses. Ce sont, en 1803, celles du chimiste Jacques Thénard (1777-1857), le 17 juin, du mathématicien Michel-Ange Lancret (1774-1807), le 29 novembre, et du mécanicien Denis Poisson (1781-1840), le 6 décembre, suivies, le 28 février 1804, de celle du chimiste et inventeur Nicolas Jacques Conté (1755-1808) et le 26 mars 1805, de celle du physico-chimiste Joseph Gay-Lussac (1778-1850). En 1807 six élections sont à citer celles du chimiste Aniédée Berthollet (1780-1810), du physicien François Delaroche (1775?-l813), et du mécanicien Jean-Nicolas Hachette (1769-1834), le 24 janvier, celles du mathématicien et physicien André-Marie Ampère (1775-1836) et du chimiste jean Darcet fils (1777-1844), le 7 février, et celle (le l'ingénieur Pierre-Simon Girard (1765-1831), le 13 décembre, De même l'année 1810 voit quatre élections, celles du mathématicien et physicien Etienne-Louis Malus (1775-1812), de l'astronome et physicien François Arago (1786-1853), et du chimiste Eugène Chevreul (1786-1889), le 21 avril, et celle du géodésien Louis Puissant (1769-1843), le 10 mai.

Suivent, de façon plus espacée, les nominations d'autres physico-mathématiciens de talent, relativement jeunes pour la plupart, celles du physicien Louis Dulong (1785-1838), le 28 mars 1812, du mathématicien Augustin Cauchy (1789-1853), le 31 décembre 1814, de l'ingénieur Nicolas Clément (1788-1841), le 13 janvier 1816, du mathématicien et physicien Joseph Fourier, futur secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences (1768-1830), le 7 février 1818, et du physicien Alexis Petit (1791-1820), le 21 février 1818. Favorisé par la progression des décès et des mises à l'éméritat, ainsi que par la création, en 1821, de sections spécialisées, le renouvellement des membres actifs se poursuivit au cours des années suivantes, permettant l'entrée à la Société Philomathique de Paris de quelques jeunes mathématiciens, mécaniciens ou chimistes et surtout d'assez nombreux physiciens au fait des tendances nouvelles de leur science et des principales questions en discussion. Parmi les mathématiciens et mécaniciens élus entre 1819 et 1832, les plus marquants sont Augustin Fresnel (1788-1827) et Claude Navier (1785-1836) en 1819, jean-Victor Poncelet (1788-1867) en 1822, Gustave Coriolis (1792-1843) en 1830, J.-M.-C. Duhamel (1797-1872) et Charles Sturm (1803-1855) en 1831, Joseph Liouville (1809-1882) et Gabriel Lamé (1795-1870) en 1832. La chimie ne semble pas favorisée pendant cette période, avec deux nouveaux membres seulement à signaler Jean-Baptiste Dumas (1800-1884) élu en 1823 et Anselme Payen (1795-1871) en 1832. Par contre, pendant cette même période, la Société recrute six nouveaux physiciens de valeur Augustin Fresnel (1788-1827) en 1819, César Despretz (1791-1863) en 1820, Antoine Becquerel (1788-1878) en 1823, Félix Savary (1797-1841) et Félix Savart (1791-1841) en 1825, et, en 1830, Jacques Babinet (1794-1872). On remarque aisément que, sauf quelques exceptions, le recrutement de la Société s'est progressivement rajeuni au cours de cette période, ce qui ne pouvait que conférer un plus grand intérêt, voire une plus grande vivacité, aux débats sur les questions d'actualité les plus brûlantes qui animaient certaines séances de la Société. Par comparaison avec l'Académie des Sciences, celle-ci apparaissait ainsi comme une sorte de club scientifique libre de toute attache officielle et de toute contrainte administrative disposant d'un Bulletin d'information publiant dans des délais rapides les notes scientifiques d'actualité rédigées par ses membres. Telle était du moins la situation privilégiée de la Société Philomathique de Paris au sein de la communauté scientifique, jusqu'à ce que ses difficultés financières sans cesse renaissantes et surtout l'apparition de périodiques qui, tels le Bulletin de Férussac et surtout les Comptes rendus hebdomadaires de l'Académie des Sciences, concurrençant directement son propre Bulletin, amènent, comme nous l'avons déjà noté, son déclin rapide. Les notices individuelles établies par J. Mandelbaum et introduites dans sa remarquable étude (J. M., p. 153-384), ainsi que différentes sources bibliographiques de caractère général, telles que le Catalogue of scientific papers (CSP) de la Royal Society et les notices réunies dans les 16 volumes du Dictionary of scientific Biography (DSB) ou dans les tomes déjà publiés du Dictionnaire de biographie française (DBF), et les monographies qui ont déjà été consacrées à nombre d'entre eux, permettent d'avoir des indications assez précises sur la carrière philomathique d'une bonne partie des 418 membres (189 membres effectifs et 227 correspondants) recensés par J. Mandelbaum pour la période étudiée (fin du XVIIIe siècle et premier tiers du XIXe). A titre d'exemples, nous évoquerons très rapidement à la suite quelques exemples qui nous ont paru particulièrement significatifs, ceux de
deux mathématiciens, S. F. Lacroix et A. Cauchy, celui d'un mécanicien, S.-D. Poisson, d'un astronome, F. Arago, d'un physicien, A. Fresnel, et d'un chimiste, J.-L. Gay-Lussac.

Ces brèves notices, reclassées dans l'ordre d'entrée à la Société Philomathique des savants concernés, se limiteront à une rapide présentation de l'activité philomathique de ces derniers, en liaison avec les autres aspects de leur carrière et de leur oeuvre. Seront donc examinés successivement les cas de S. F. Lacroix (3 décembre 1793), Siméon-Denis Poisson (6 décembre 1803), J.-L. Gay-Lussac (26 mars 1805), François Arago (21 avril 1810), Augustin Cauchy (31 décembre 1815) et Augustin Fresnel (3 avril 1819).

Sylvestre-François Lacroix (né le 28 avril 1765 ; mort le 24 mai 1843 à Paris), élu correspondant de la Société le 22 décembre 1792 et membre le 3 décembre 1793 et, à nouveau, le 13 décembre 1794; nommé membre émérite le 13 janvier 1821. Après avoir été professeur à l'Ecole des gardes de la marine de Rochefort, puis suppléant de Condorcet pour l'enseignement des mathématiques au Lycée de Paris, Lacroix était depuis 1788 professeur de mathématiques, physique et chimie à l'Ecole royale d'artillerie de Besançon, lorsque, au cours d'une mission à Paris, il fut nommé correspondant de la Société. II était alors connu surtout pour des recherches
en mathématiques et sciences exactes et était, depuis le 29 août 1789, correspondant de Condorcet à l'Académie des Sciences. Sa participation aux travaux de la Société est dominée au début par l'appui qu'il accorde aux travaux d'un naturaliste amateur de Besançon, J. Girod-Chantrans, sur la nature d'algues microscopiques de la famille des confervacées (J. M., p. 90-95 « Une controverse philomathique la question des conferves »), travaux qui suscitèrent une longue et ardente controverse. Fixé à Paris comme « chef du bureau de l'organisation des écoles », puis comme professeur d'école centrale et, à partir de 1799, professeur a l'Ecole polytechnique et membre de l'Académie des Sciences (24 mai 1799), il se consacre dès lors à nouveau aux mathématiques publiant toute une série de traités et de manuels réputés, présentant de nombreuses communications devant la Société et acceptant plusieurs responsabilités administratives commissaire du Bulletin de septembre 1798 à mars 1805 et vice-secrétaire de septembre 1798 à juillet 1799. S'il ne signe que trois articles du Bulletin (t. I et II), jusqu'en 1805, il y insère de nombreuses autres contributions, signalées par les initiales L. C. Absorbé par la publication de ses ouvrages, il ne semble plus ensuite avoir participé activement à la vie de la Société .

Siméon-Denis Poisson (21 janvier 1781, Pithiviers; 25 avril 1840, Paris), élu membre de la Société le 6 décembre 1803; nommé membre émérite le 27 mars 1824. Au moment de son élection à la Société, Poisson assurait un enseignement de mathématiques à l'Ecole polytechnique comme suppléant de Fourier, à qui il succédera en 1806. Il n'avait encore publié que de brèves notes de mathématiques dans le journal de l'Ecole polytechnique, auquel il demeurera toujours fidèle, tout en utilisant aussitôt les facilités de publication rapide du Bulletin de la Société dont il sera l'un des principaux commissaires de 1806 à 1820. Astronome au Bureau des Longitudes en 1807, professeur de mécanique à la Faculté des Sciences en 1809, membre de la Société d'Arcueil, il fut élu membre de la section de physique de l'Académie des Sciences le 23 mars 1812. Mais il continue à participer activement à la vie de la Société Philomathique, assumant la responsabilité de l'édition d'une partie de son Bulletin et alimentant ce dernier d'une quarantaine de notes, d'articles et d'extraits de mémoires de mécanique, physique et mathématiques jusqu'en 1826. Il semble ensuite avoir abandonné la Société et son Bulletin pour se rallier à la publication concurrente fondée par le baron de Férussac .

Joseph-Louis Gay-Lussac (6 décembre 1778, Saint-Léonard-de-Noblat, Haute-Vienne; 9 mai 1850, Paris), élu membre de la Société le 26 mars 1805; nommé membre émérite le 29 janvier 1825. Lors de son élection à la Société, Gay-Lussac, disciple et ami de Berthollet, répétiteur de chimie à l'Ecole polytechnique, faisait un voyage d'études en Allemagne avec A. von Humboldt. Trois extraits de ses travaux avaient déjà été publiés dans le Bulletin de la Société dont, en 1802, un résumé par Berthollet de son grand mémoire sur la dilatation des gaz. Par ailleurs, il avait réalisé deux ascensions en ballon en 1804 à des fins scientifiques, qui l'avaient fait largement connaître. Elu le 6 décembre 1806 dans la classe de physique générale de l'Académie, il participe également aux travaux de la Société d'Arcueil, groupe de jeunes physico-chimistes animé par Berthollet et Laplace. Aussi, tout en poursuivant une double carrière de physicien (en 1809, il est nommé professeur de physique à la nouvelle Faculté des Sciences) et de chimiste (en 1810, il succédera à Fourcroy comme professeur de chimie à l'Ecole polytechnique), il a la possibilité de présenter ses travaux et ses découvertes à la fois à la Société d'Arcueil, à l'Académie et à la Société Phiomathique. C'est ainsi que le 31 décembre 1808, il présenta devant la Société Philomathique le célèbre mémoire « Sur la combinaison des substances gazeuses les unes avec les autres» qu'il ne présenta devant l'Académie que le 23 janvier 1809. Tout en participant également aux activités administratives de la Société, Gay-Lussac fut commissaire du Bulletin pour la physique de 1807 à 1809, ce qui l'amena à rédiger, en plus d'extraits de ses propres travaux, des résumés de mémoires d'autres auteurs. A partir de 1810, son activité dans le cadre de la Société connaît un rapide déclin, mais ses principaux travaux continuent à y être l'objet de comptes rendus, sans que sa présence aux séances puisse être attestée. Mais la codirection qu'il assume à partir du début de 1816, avec F. Arago, des Annales de chimie et de physique qui succédaient aux Annales de chimie fondées en 1789 par Lavoisier et ses disciples, et les nombreuses autres fonctions officielles qu'il accepte l'éloignent définitivement d'une Société où il avait joué pendant quelques années un rôle actif et fécond et qui lui avait permis de diffuser plus rapidement certains de ses travaux .

François Arago (26 février 1786, Estagel, Pyrénées-Orientales; 2 octobre 1853, Paris), élu membre de la Société le 21 avril 1810; devenu émérite vers 1830. Ancien élève de l'Ecole polytechnique, disciple de Laplace, Arago a déjà entrepris plusieurs travaux d'astronomie et de physique lorsque, en septembre 1806, il est chargé avec Biot de poursuivre et d'étendre les opérations géodésiques commencées en Espagne par Delambre et Méchain. Ces opérations sont pratiquement terminées en avril 1808 lorsque l'entrée des troupes françaises en Espagne rend sa situation particulièrement difficile. Cependant, après de multiples péripéties, il rentre en France en juillet 1809. Accueilli triomphalement, il sera élu membre de la section astronomie de l'Académie des Sciences le 18 septembre 1809. Il est également admis au sein de la Société d'Arcueil, du Bureau des Longitudes et chargé d'enseigner la géométrie descriptive à l'Ecole polytechnique. Cependant, ce n'est que quelques mois plus tard qu'il sera admis au sein de la Société où, pendant sa mission en Espagne, sa candidature avait été présentée en vain à plusieurs reprises. Toujours est-il que disposant, grâce à ses nombreuses fonctions, d'autres tribunes qu'il pouvait juger plus prestigieuses ou mieux adaptées, Arago ne semble pas avoir voulu jouer un grand rôle dans le cadre de la Société. II accepta cependant, en 1814-1815, la direction de la partie « physique-astronomie » du Bulletin et surtout présenta à plusieurs reprises, entre 1811 et 1826, des notes originales concernant certains résultats de ses recherches d'optique et d'électromagnétisme, telle, en 1825, sa « Découverte d'une nouvelle action magnétique ». Mais c'est plutôt dans le cadre de l'Académie et dans ceux du Bureau des Longitudes et de l'Observatoire qu'il déploya l'essentiel de son ardeur pour la recherche scientifique et manifesta le mieux ses talents d'organisateur et son goût pour l'autorité .

Augustin Cauchy (21 août 1789, Paris; 23 mai 1857, Sceaux), élu correspondant le 21 mars 1812 et membre le 31 décembre 1814; semble cesser toute activité au sein de la Société à partir de la fin de 1826. Ancien élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des Ponts et Chaussées, Cauchy, après avoir été pendant trois ans ingénieur au port de Cherbourg, obtint en 1813 de revenir à Paris où il put dans de meilleures conditions poursuivre l'ouvre mathématique qu'il avait
déjà entreprise. Malgré le soutien de Laplace et de Poisson, il fut à plusieurs reprises déçu dans son espoir d'entrer rapidement à l'Académie des Sciences et d'obtenir un poste officiel lui permettant de quitter les Ponts et Chaussées. Ne se décourageant pas, il continue à présenter devant l'Académie d'importants mémoires dont il présente également des extraits devant la Société Philomathique. A la Restauration, la faveur politique lui vaut d'être choisi en 1815 comme suppléant de l'un des professeurs d'analyse de l'Ecole polytechnique et d'être nommé professeur titulaire en 1816 et, le 21 mars 1816, d'être nommé par décision royale membre de l'Académie royale des Sciences épurée. Bien que ses remarquables qualités de mathématicien et l'importance de l'ouvre qu'il avait déjà réalisée justifient a posteriori de telles nominations, Cauchy ressentait certainement l'hostilité qu'elles lui valaient de la part de certains de ses confrères. Aussi se trouvait-il peut-être plus à l'aise à la Société Philomathique où ses deux élections s'étaient déroulées de façon tout à fait normale. Toujours est-il que s'il n'y assuma aucune fonction officielle, pendant une dizaine d'années il y présenta régulièrement des extraits de ses travaux les plus importants et qu'entre 1812 et décembre 1826 il publia dans le Bulletin de cette société 19 notes importantes réunies aujourd'hui dans le tome II de la deuxième série de ses Oeuvres complètes. Mais la fondation du Bulletin de Férussac et l'édition, à partir de mars 1826, d'une publication par fascicules, les Exercices de mathématiques, réservée à ses seuls écrits, devaient l'amener à abandonner une société qui avait permis la diffusion rapide de ses premiers travaux originaux et à laquelle ses succès avaient conféré un lustre certain dans le domaine mathématique .

Augustin Fresnel (10 mai 1788, Broglie, Eure; 14 juillet 1827, Ville-d'Avray), élu membre de la Société le 3 avril 1819. Ancien élève de l'Ecole des Ponts et Chaussées, Fresnel avait entrepris une carrière provinciale d'ingénieur des Ponts et Chaussées, interrompue seulement par une suspension au cours des Cent-Jours, lorsqu'il commença à s'intéresser à l'optique et à prôner la théorie ondulatoire de la lumière, alors peu en faveur. Ayant obtenu le précieux appui d'Arago et d'Ampère, il put mener à bien en quelques années un impressionnant programme de recherches expérimentales et théoriques qui lui permirent, en approfondissant l'analyse des phénomènes d'interférences, de diffraction et de polarisation, d'apporter de puissants arguments en faveur de la théorie ondulatoire de la lumière, déjà prônée par le physicien anglais Thomas Young. Nommé grâce à l'appui d'Arago, à la Commission des phares, Fresnel se fixa à Paris en 1818 et put ainsi poursuivre dans de meilleures conditions le difficile combat qui l'opposait à de puissants physiciens, tels que Biot et Poisson, partisans convaincus de la théorie newtonienne de l'émission. Sa lettre à son frère Leonor du 23 avril 1818, déjà citée, montre qu'il espérait beaucoup d'une élection à la Société Philomathique qui, pensait-il, « est l'arène où combattent les partisans des différentes doctrines scientifiques ». Ayant, à la suggestion d'Arago, déposé en juillet 1818 un grand mémoire sur la diffraction destiné au concours de prix de l'Académie des Sciences de 1819, son entrée à la Société se situe au moment où il remporte ce prix en triomphant en particulier des objections de Poisson. Malgré des obligations professionnelles assez lourdes et une santé de plus en plus déficiente, au cours des années suivantes il poursuit sa lutte en faveur de la théorie ondulatoire, qu'il renforce en 1821 en affirmant la transversalité de la vibration lumineuse. N'ayant été élu à l'Académie des Sciences que le 12 mai 1823, la Société Philomathique sera pour lui, pendant plusieurs années, une tribune privilégiée et, concurremment avec les Annales de chimie et de physique, son Bulletin sera l'un des principaux organes de diffusion de ses recherches et de ses découvertes. De 1822 à 1824, il assumera d'ailleurs les fonctions de rédacteur de la partie physique de ce Bulletin. Ainsi, dans la carrière brève et fulgurante de ce fondateur de l'optique ondulatoire, la Société Philomathique de Paris a-t-elle joué un rôle plus déterminant peut-être que pour celles des autres membres de cette société .

Notes:

1 - J. Mandelbaum, La Société Philomathique de Paris de 1788 à 1835. Essai d'histoire institutionnelle et de biographie collective d'une société scientifique parisienne, thèse de 3e cycle, EHESS, Paris, 1980, 609 p. en 2 t. (J. M.).

2 - Bibl. J. M., p. 90-95, 279-284, 463-464; CSP, III, p. 793; DSB, VII, p. 549-551 (J. Itard); R. Taton, Condorcet et Sylvestre-François Lacroix, Rev. Hist. Sci., t. 12, 1959, p. 127-158 et 243-262.

3 - Bibl. : J. M., p. 339-340; CSP, IV, p. 964-969; DSB, vol. XV, p. 480-490 (P. Costabel); F. Arago, Ouvres complètes, t. II, Paris, 1854, p. 591-698; M. Métivier, P. Costabel, P. Dugac, éd., Siméon-Denis Poisson et la science de son temps, Palaiseau, 1981 et particulièrement la bibliographie annotée des travaux de Poisson (p. 209-265).

4 - Bibl. :J. M., p. 253,483 et surtout p. 81-89, « Une carrière philomathique l'exemple de Gay-Lussac; CSP, II, p. 800-807; DSB, vol. V, p. 317-327 (M. Crosland); M. Crosland, Gay-Lussac, scientist and bourgeois, Cambridge, 1978; F. Arago, Oeuvres complètes. t. III, p. l-112; M. Sadoun-Goupil, éd., Actes du colloque Gay-Lussac, 11-13 décembre 1978, Palaiseau, 1980.

5 - Bibl. : J. M., p. 158,484; CSP, I, p. 80-84; DSB, I, p. 200-203 (R. Hahn); M. Daumas, Arago. La jeunesse de la science, Paris, 1987; François Arago. Actes du colloque national des 20, 21 et 22 octobre 1986, Perpignan, 1987 («Cahiers de l'Université de Perpignan, Lettres, Sciences humaines et sociales », n° 2).

6 - Bibl. J. M., p. 199-200, 490-491; CSP, I, p. 826-843; DSB, III, p. 131-148 (H. Freudenthal); B. Belhoste, Cauchy; un mathématicien légitimiste au XIXe siècle, Paris. 1984; Oeuvres complètes d'Augustin Cauchy, 2 série, t. II et XV, Paris, 1958 et 1974.

7 - Bibl. J. M., p. 99, 248, 494; CSP, 2, p. 717; DSB, V, p. 165-175 (R. H. Silhiman); F. Arago, Oeuvres complètes, I, Paris, 1754, p. 107-185; Oeuvres complètes d'Augustin Fresnel, 3 vol., Paris, 1866-1870; V. Ronchi, Histoire de la lumière, Paris, 1956, p. 242-261.