Alexis MOYSE, Trois philomathes: du phlogistique à la photosynthèse
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Trois philomathes :
du phlogistique à la photosynthèse
Par Alexis MOYSE, philomathe
Les idées abandonnées d'un auteur ne sont pas forcément plus mauvaises que les autres elles ont pu être seulement moins achevées, ou en avance sur leur temps parce que nécessitant, pour devenir opérantes, des connaissances encore à venir...
G. Lochak, 1988.
En cette époque troublée que furent les quinze ou trente dernières années du xvme siècle, la Révolution ne toucha pas que les trois ordres de la société française et nombre de leurs personnes, la chimie et la physiologie furent également les sujets d'un renouvellement profond.
Ce fut en particulier le début des connaissances relatives à la photosynthèse, initié par J. Priestley, pasteur à Birmingham, théologien, philosophe et savant non conformiste, qui, en 1772, découvrit que les plantes vertes, à la lumière, purifiaient l'air vicié par une combustion et le rendaient apte au maintien d'une chandelle allumée ou d'une souris en vie (voir Rabinowitch, 1945).
Trois philomathes continuèrent son oeuvre dans les années suivantes, en compagnie de quelques autres, avant la naissance même de notre Société. Antoine-François, comte de Fourcroy (1755-1809) d'abord élu treizième membre de la Société Philomathique le 14 septembre 1793, sous le nom abrégé de C. Fourcroy, quarante jours avant l'institution du calendrier républicain créé peu de temps après que la Société (fondée dès 1788) eut remplacé l'Académie royale des Sciences supprimée le 8 août de la même année. Puis deux correspondants étrangers, tous deux de Genève, Jean Sénebier (1742-1809), élu le 13 brumaire de l'an VI (3 novembre 1797) et Nicolas-Théodore de Saussure (1767-1845) élu le 13 prairial de l'an VIII (2 juin 1800) (Société Philomathique, 1804).
Fourcroy et la mort du phlogistique
Fourcroy auparavant avait été nommé associé chimiste à l'Académie royale des Sciences, le 12 mai 1785. II fut élu membre résident dans la section de Chimie de la première classe de l'Institut national, le 18 frimaire an IV (9 décembre 1795). S'il fut professeur de chimie au Jardin du Roi, en 1784, jardin devenu Muséum d'Histoire naturelle le 10 juin 1793 à la suite d'une mémorable intervention de J. Lakanal, à la Convention, Fourcroy avait fait d'abord des études de médecine.
Pendant la période révolutionnaire, il fut membre du Comité d'Instruction publique (10 août 1792), suppléant, puis député à la Convention nationale en automne 1793. Il créa alors la Commission temporaire des Poids et Mesures, pour ne pas interrompre les travaux consacrés à la définition du système métrique, commencés en 1791. Plus tard, membre du Conseil des Anciens, après le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), puis conseiller d'Etat sous le Consulat après le 18 brumaire (16 août 1799), il participa très activement à la réorganisation des enseignements scientifiques fondamentaux ou liés à leurs applications. Ecole polytechnique, tentatives d'écoles centrales, d'écoles normales, d'écoles de santé ou de médecine, marquant les étapes réussies ou remplacées par des établissements aux buts similaires, jalonnent ses activités en ce domaine.
Néanmoins pendant toutes ces périodes mouvementées, il consacra l'essentiel de ses activités à ses travaux de recherches en chimie minérale et organique. On a pu dire qu'il posa les premières bases de la biochimie (Kersaint, 1963). Et pendant vingt-cinq ans il enseigna la chimie jusqu'à sa mort au jardin du Roi, puis au Muséum d'Histoire naturelle. Son enseignement avait un tel succès « qu'il fallut élargir deux fois le grand amphithéâtre du jardin des Plantes, parce que cette salle immense ne pouvait contenir la foule de ceux qui venaient entendre M. de Fourcroy » ainsi que l'écrit G. Cuvier (philomathe en 1795) dans l'éloge qu'il en fit le 7 janvier 1811.
Dès 1780, le concept de phlogistique était moribond... Issu d'un système très cohérent élaboré par G. E. Stahl (1660-1734), le phlogistique, principe du feu, libéré lors des combustions, à l'origine de la chaleur qu'elles émettent, restait impossible à isoler, toujours combiné et invisible.
Cependant, en 1772, Guyton de Morveau tentait d'expliquer l'augmentation de masse de plomb ou d'étain calcinés, oxydés et qui devaient alors avoir perdu du phlogistique, en attribuant à ce dernier une masse négative (Bensaude-Vincent, 1989). Néanmoins, entre 1772 et 1782, A.-L. Lavoisier (philomathe en 1793) avait déterminé les grands traits de la composition de l'air. II avait distingué l'air « déphlogistiqué » ou « air vital » (l'oxygène) découvert en 1774 par J. Priestley, de 1' « air fixe» constitué essentiellement de carbone et d'oxygène (notre bioxyde de carbone). Lavoisier avait obtenu ce dernier par combustion et étendu sa genèse à la respiration des animaux. En 1766, H. Cavendish avait découvert l'« air inflammable » et précisé en 1776 qu'il s'agissait d'un élément distinct du gaz des marais (notre méthane), l'hydrogène dont il montra la présence dans l'eau, accompagné de l'oxygène en 1784. Un an après, Lavoisier et J.-B. Meusnier en donnent confirmation et réalisent à la fois l'analyse et la synthèse de l'eau. En 1787, la Méthode de nomenclature chimique, proposée par M. M. de Morveau (qui a abandonné le phlogistique), Lavoisier, Berthollet (enfin rallié aux idées nouvelles et de plus phiomathe, 1793) et Fourcroy, marqua la fin du phlogistique et le début de l'adoption générale du langage et des conceptions de la chimie moderne. Fourcroy, Vauquelin (philomathe dès le 9 novembre 1789) et Séguin (philomathe 1790) réalisèrent à nouveau la synthèse de l'eau qui avait été sujet à controverse, ils montrèrent que la molécule était constituée d'une partie (atome) d'oxygène et de deux parties d'hydrogène. Après 1798, Fourcroy entreprit la rédaction de son grand ouvrage : Système des connaissances chimiques et de leurs applications aux phénomènes de la nature et de l'art, publié en 1801.
Ainsi, l'ouvre scientifique de Fourcroy est immense et s'étend dans tous les domaines de la chimie : générale (contre le phlogistique, sur les affinités chimiques, la nomenclature), minérale (les propriétés de différents métaux, de leurs oxydes, du platine..., la synthèse de l'eau...), organique (découverte de la « matière albumineuse » des plantes, analyse de graines, du quinquina, des gommes, de pigments des fleurs, des calculs biliaires et de la vessie, de l'urine), physiologique (rôle de l'oxygène dans l'économie animale, échanges d'oxygène et d'acide carbonique dont Lavoisier avait montré qu'il était formé de « charbon et d'oxygène » et établi la « doctrine pneumatique » de la respiration).
On peut dire qu'il est le promoteur de la chimie biologique... Au total, il ne nous paraît pas exagéré de penser que Fourcroy est, après Lavoisier, un des plus éminents chimistes de son époque et qu'il prépare avec eux l'ouvre si féconde du XIXe siècle (Kersaint, 1966).
Fourcroy et l'origine de l'oxygène libéré lors de la photosynthèse des végétaux chlorophylliens
Mais ce qui mérite de nous retenir est aussi l'hypothèse émise par Fourcroy sur la décomposition de l'eau par les feuilles vertes, avec émission d'oxygène et rétention de l'hydrogène; hypothèse prémonitoire de la première réaction biochimique de la photosynthèse succédant à l'excitation photophysique consécutive à l'absorption de la lumière.
Reprenant et détaillant ce qu'il avait déjà décrit en 1786, il développe son hypothèse en 1787, dans le chapitre V du tome I de l'ouvrage indiqué dans les références jointes :
De l'eau on apprécie l'action de l'eau sur le fer et sur le zinc, qu'elle calcine en se décomposant, sur les feuilles des plantes exposées au soleil, qui absorbent l'hydrogène de l'eau et en séparent l'oxygène dans l'état d'air vital... Enfin, on ne peut douter que l'eau ne soit sans cesse décomposée et recomposée dans l'atmosphère (p. 68).
La première phrase précise ce qu'il a écrit dans le même ouvrage :
Elle [la lumière] favorise la décomposition de l'eau par les feuilles, comme nous le verrons par la suite, et c'est pas cette décomposition que se forme la matière combustible des plantes (p. 33).
Il faut y ajouter une phrase écrite plus loin :
II [l'acide carbonique] est rapidement décomposé par les feuilles des plantes exposées au soleil (p. 123).
Nous reviendrons sur ce dernier point à propos des travaux et controverses des deux autres philomathes J. Sénebier et N.-T. de Saussure. La dernière phrase exprime l'idée alors originale du cycle biologique de l'eau.
Dans le tome II du même ouvrage, au chapitre XIII : « De la fermentation et de la végétation », il exprime sa perplexité devant les ignorances de l'époque et le sentiment du temps nécessaire à l'amélioration des connaissances d'alors (p. 157) :
On ne sait comment et pourquoi les huiles diffèrent entre elles, comment se forment les extraits, le gluten, les parties colorantes, le mucilage, le principe de l'odeur : on entrevoit que les alcalis se forment dans les végétaux sans savoir encore les attractions et les principes qui les produisent. De même on soupçonne que les acides végétaux (les acides tartrique, citrique, oxalique, malique, gallique, benzoïque, étaient connus, ainsi que l'acide succinique extrait de l'ambre et l'acide acétique) se composent par une union de l'huile avec l'oxygène et que l'eau est décomposée par le tissu intérieur des végétaux, d'une manière opposée à celle qui a lieu à la surface extérieure de leurs feuilles, puisque dans ce dernier cas (il s'agit du cas antérieur), l'hydrogène est absorbé, et l'oxygène dégagé en air vital tandis que, dans la formation des acides végétaux, l'oxygène y est retenu et fixé, ainsi que l'hydrogène. Ce sont là les vrais problèmes à résoudre pour bien connaître la Physique intérieure et particulière des végétaux, mais ces problèmes sont d'une grande difficulté; il n'y a que de nouvelles expériences et de nouveaux progrès dans la Chimie végétale qui puissent en faire espérer la solution, et elle n'est peut-être réservée qu'aux siècles qui succéderont aux nôtres.
«Peut-être », certainement ces dernières phrases sont effectivement prémonitoires et témoignent d'une remarquable intuition.
La contestation, à propos de l'origine aqueuse de l'oxygène émis par les feuilles vertes, ne tarda pas.
II est temps d'introduire notre philomathe correspondant étranger: Nicolas-Théodore de Saussure, expérimentateur remarquable. De Saussure dont le rôle quant à la découverte expérimentale de l'intervention de l'eau et de l'origine du bioxyde de carbone absorbé ne relève plus d'hypothèses, mais de mesures très précises, établit la formule complète de l'assimilation photosynthétique du carbone et de l'hydrogène :
Bioxyde de carbone + eau + lumière ---(plante)---> matière organique+ oxygène
(La matière organique ici citée n'est constituée que de carbone, d'hydrogène et d'oxygène.)
De Saussure publia la majeure partie de ses recherches plus tardivement (1804). On y trouve un très grand nombre de mesures des échanges d'oxygène et de bioxyde de carbone, réalisées à la lumière et à l'obscurité, des besoins d'oxygène pour la germination de nombreuses semences, de son influence sur les fruits, l'oxydation des huiles, des études de la composition du terreau, de l'absorption de l'eau et des sels minéraux du sol par les racines, de la composition minérale des cendres des végétaux. Ses analyses et ses expériences sur la nutrition des plantes témoignent de très grandes qualités d'expérimentateur très soucieux de leur rigueur sur le plan quantitatif. Il y traite longuement du rôle de l'eau, non seulement comme transporteur d'éléments minéraux du sol, mais également comme aliment de l'assimilation du carbone. Il en donne la démonstration sur le plan pondéral.
Mais si conformément à la formule donnée ci-dessus, il écrit :
Puisque les plantes s'approprient l'oxygène et l'hydrogène de l'eau, on peut présumer qu'elles doivent, dans certaines circonstances, exhaler l'oxygène qui a servi d'éléments à ce liquide,
il faut souligner son doute.
On peut présumer, mais présumer n'est pas démontrer. Et il ajoute:
Mais il ne parait pas que, dans aucun cas, elles le décomposent directement, en s'appropriant son hydrogène, et en dégageant immédiatement son autre élément, dans l'état de gaz oxygène (vol. cité p. 228).
Et plus loin :
Elles (les plantes) n'exhalent du gaz oxygène que par la décomposition immédiate du gaz acide carbonique (p. 237).
La phrase citée ci-dessus, transcrite en formulation chimique :
CO2 + H2O + lumière --(plante)--> (HCHO) + 02
ne présume en rien de l'origine de l'oxygène : CO2, ou H20?
Pour indiquer une possible origine aqueuse de l'oxygène, il est nécessaire de l'écrire au moins de la manière suivante
CO2 + 2H2O + lumière ---(plante)---> (HCHO) + O2 + H2O.
Cependant la démonstration directe de cette origine, en présence de CO2, est illusoire. Car les chloroplastes, organites de la photosynthèse, possèdent une enzyme, l'anhydrase carbonique, qui catalyse la réaction d'équilibre suivante :
O=C=O + H2O <----> O =C-(OH)2 (acide carbonique).
Or, le premier composé carboné fixé lors des réactions biochimiques du métabolisme photosynthétique est bien le CO2, à l'état moléculaire, chez la plupart des plantes vivant dans les régions tempérées et chez tous les arbres. L'enzyme qui intervient, la ribulose-1,5-bisphosphate carboxylase, utilise CO2 comme substrat. Pour un certain nombre de végétaux d'origine tropicale. Mais, canne à sucre, ou bien vivant sur des terrains salés dans des pays à climats tempérés, une autre enzyme, la phosphoénolpyruvate carboxylase, catalyse une réaction primaire différente qui utilise l'acide carbonique lui-même comme substrat de fixation du carbone.
Dans les deux cas, les échanges de radicaux oxydryles (-OH) empêchent toute distinction de l'origine aqueuse ou carbonique de l'oxygène émis.
Mais l'on sait depuis plus de vingt ans que l'origine de l'oxygène est due à une réaction qui précède la fixation de CO2, ou de C03H2 (ou l'ion CO3H-). Cette réaction est liée aux transferts d'électrons (et de protons) en relation directe avec les actes photochimiques dépendant de l'absorption des photons par les complexes protéines-chlorophylle situés dans les membranes internes des chloroplastes.
La démonstration en a été donnée par Arnon et al. en 1957 et précisée l'année suivante par San Pietro et Lang (1958). Il s'agit de la réduction du nicotinamide adénine-dinucléotide-phosphate (NADP) par des préparations de membranes chloroplastiques isolées de feuilles d'épinard, avec émission d'oxygène. La réaction peut être schématisée ainsi :
NADP + H20 + lumière ----> NADPH + 1proton +1 électron + 1/2 02
Le NADPH + proton, forme réduite du NADP, intervient ultérieurement dans la réduction biochimique du C02.
Une émission d'oxygène à partir de l'eau, par des préparations de membranes isolées de chloroplastes de diverses plantes, avait été donnée antérieurement par Hill (1939), mais à propos de la réduction de sels ferriques qui n'interviennent pas dans les réactions de la photosynthèse. Cependant le nom de « réactions de Hill » fut donné à ces émissions d'oxygène obtenues avec des membranes de chloroplastes à la lumière, en présence de composés très variés qui sont réduits en même temps. De même, en 1952, Mehler et Brown, utilisant des préparations de chloroplastes d'épinard en suspension dans l'eau et en présence d'une atmosphère enrichie en isotope « lourd » stable de l'oxygène 34, (l'oxygène commun a une masse moléculaire de 32) avaient montré que la réduction de l'oxygène en eau oxygénée s'accompagne d'un enrichissement de cette atmosphère en 32 ne pouvant provenir que de l'eau.
Néanmoins, les travaux précités ont démontré la validité de l'hypothèse émise par Fourcroy en 1787, bien qu'elle fût encore contestée par O. Warburg (prix Nobel de Médecine, 1931), en 1962.
Sénebier, de Saussure et l'origine du bioxyde de carbone réduit dans la photosynthèse
L'on doit à J. Sénebier la découverte de la décomposition du bioxyde de carbone par les feuilles, à la lumière. Il écrivit en 1782 :
Il parait clairement que l'air, formé par les feuilles exposées sous l'eau au soleil, est l'effet d'une combinaison particulière de l'air fixe, opérée dans la feuille par le moyen du soleil.
II précisait ainsi les observations du savant hollandais J. Ingen-Housz, qui avait décrit, en 1779, la déphlogistication de l'air par les plantes à la lumière, avec formation concomitante d' «air vital» (oxygène), et réciproquement la pollution de l'air réalisée par les plantes vertes à l'obscurité.
Mais ce dernier point fut contesté par Sénebier, polémiste virulent. De plus, pour lui, et contrairement à Ingen-Housz, les feuilles devaient recevoir leur bioxyde de carbone, non pas directement de l'air atmosphérique, mais par l'intermédiaire de l'eau absorbée par les racines. De Saussure trancha en faveur de l'hypothèse d'Ingen-Housz, par de nombreuses expériences effectuées avec le plus souvent de l'air enrichi en CO2.. A cette époque, la teneur de l'atmosphère en bioxyde de carbone était très mal connue, ou surestimée, même lors d'analyses effectuées sur l'atmosphère de lieux habités dos. Fourcroy l'estima à 0,5 % en volume dans l'air, alors qu'elle devait être, hors des lieux habités, de l'ordre de 0,028 %, avant l'avènement de l'ère industrielle.
Par ses nombreuses analyses des échanges de bioxyde de carbone et d'oxygène par les plantes vertes, de Saussure établit indubitablement l'origine essentiellement aérienne de leur nutrition carbonée. Il tenta même de déterminer le quotient photosynthétique, rapport du volume d'oxygène dégagé au volume de bioxyde de carbone absorbé, mais ses mesures n'étaient pas assez fines pour s'approcher de la valeur réelle. Il fallut attendre 1861 pour que Boussingault (encore un philomathe) en donne la valeur moyenne très proche de l'unité.
Un autre mérite de de Saussure, qui a expérimenté avec un grand nombre de plantes appartenant à des espèces très diverses, Pois, Pervenche, Salicaire, Menthe aquatique, Cactus, a été de démontrer que les raquettes de cette dernière plante absorbent le bioxyde de carbone à l'obscurité et d'autant plus activement que la température est basse, tout en restant compatible avec un métabolisme actif.
Ce fut la première observation de ce que nous appelons aujourd'hui le Métabolisme acide crassulacéen, caractéristique des plantes grasses. Leur absorption nocturne de CO2, aboutit à une accumulation d'acide malique. Le jour suivant, à la lumière, cet acide est décarboxylé (décomposition avec libération de CO2) et ses fragments entrent ensuite dans le cycle de l'assimilation du carbone avec formation de glucides. Ainsi de Saussure fut-il à l'origine de la distinction de la diversité des types métaboliques des végétaux, à propos de la photosynthèse.
Conclusion
L'hypothèse de Fourcroy, à propos de l'origine aqueuse de l'oxygène libéré lors de la photosynthèse, illustre bien le propos de G. Lochak cité en exergue, puisque entre son émission et sa démonstration, près de deux siècles s'écoulèrent. A propos du bioxyde de carbone, la durée entre la découverte de sa fixation par les végétaux chlorophylliens, à la lumière et la connaissance du mécanisme de son assimilation, avec synthèse de glucides, après maintes hypothèses sans fondements expérimentaux sérieux, fut du même ordre de temps. Le cycle photoréductif du carbone qui l'exprime, ou cycle de Calvin-Benson, ne fut décrit complètement par Calvin qu'en 1955. Son établissement fut dû aux possibilités offertes, après la seconde guerre mondiale, par les découvertes de la physique nucléaire, avec la formation et l'isolement du 14C, radiocarbone de longue vie, isotope du 12C stable et principal carbone du CO2, et des calcaires. Le 14CO2 permet de suivre la succession des composés intermédiaires qui aboutissent à la synthèse de glucides. Il faut y ajouter les remarquables outils de l'analyse chromatographique et de l'enzymologie. Les longs efforts de la recherche, en ce domaine, comme dans bien d'autres, avec les multiples hypothèses et controverses qui s'affrontèrent pendant deux siècles environ illustrent, à mon avis, la thèse de K. Popper (1959) que l'on peut résumer brièvement ainsi :
Tout ce qui est scientifique est réfutable et doit être soumis à vérification.
Hors du réfutable, les dogmes n'ont pas de place dans le domaine des sciences, ils ne peuvent relever que du sentiment. Heureusement ÉTUDE ET AMITIÉ, la Société Philomathique, ne nous permet-elle pas d'unir « sciences et sentiment »?
Références bibliographiques :
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